Chiner pour la première fois
Il y a une vraie joie à trouver la pièce parfaite. Elle est aux bonnes dimensions, dans la bonne couleur, dans un matériau que vous n’auriez pas acheté s’il n’était pas récupéré. C’est la combinaison de tous ces aspects qui vous apporte une satisfaction intense, la même que celle d’avoir résolu un problème complexe. C’est le moment où tous les doutes se dissipent pour laisser place à la certitude d’avoir fait le bon choix. On peut s’y perdre, y passer ses soirs et ses week-end, le faire par plaisir, en faire son métier.
Tout commence par cette première fois.
L’œil et le goût
Se promener en brocante, cela ressemble à un rendez-vous sauvage, pris entre habitués qui se retrouvent tous les ans pour ce rituel d’échange. Les flyers aux couleurs criardes, les planches posées sur des tréteaux, les longues files de flâneurs aux dos courbés et aux yeux rivés sur les stands.
Pour une première fois, nous conseillons de venir avec une ou plusieurs pièces à chercher. Avoir un objectif n’enlève rien au plaisir, mais c’est peut-être ce qui vous différenciera des autres passants. Vous ne flânez pas cette fois-ci, vous chinez.
Votre œil va scanner les étalages à la recherche de cette pièce, ce sera un moyen de faire un premier tri, une boussole dans la profusion d’objets. Une bonne pièce s’impose à vous comme une évidence. Elle sort du lot, les bibelots qui l’entourent ne sont plus qu’un décor flou. L’exercice est alors de savoir ce qui provoque cette évidence. Attardez vous, demandez à prendre une photo pour immortaliser cette rencontre. Il ne s’agit pas d’être connaisseur.euse, il s’agit de vibrer.
L’effervescence de la brocante vous poussera vers d’autres stands. Il n’y a pas de pression à acheter, même si plusieurs personnes s’attroupent autour de l’objet. Trouver la bonne pièce s’inscrit dans un temps long, dans une série d’occasions manquées, de “presque ça”.
Rien ne garantit que la recherche sera fructueuse, seul le chemin compte.
La brocante inspire la frugalité, une forme de recherche exigeante et émotionnelle aux antipodes de la recherche de produits neufs sur Internet. Le stand émerveille et suprend, il nous submerge et nous plonge dans la réalité de la vie des objets. Il n’y a pas d’incitation à l’achat, pas de messages d’alerte, pas de niveau de stock ou de temps de livraison. L’offre en brocante est unique, immédiate et éphémère. On n’y abandonne pas son panier, on est pris de la peur de reposer notre trouvaille et qu’elle soit prise par un autre.
la bonne pièce
L’échange social de la brocante se crée quand votre œil est accroché. Le brocanteur, la brocanteuse s’approche avec une question, ou des bribes d’histoires à propos de l’objet. L’objet devient alors le centre d’attention, il vous relie mystérieusement à cet.te inconnu.e qui l’a choisi avant vous, qui a vu en lui sa singularité. Il n’y a pas de tabou, parlez de l’objet et de votre attirance pour lui, peu importe son prix, demandez-le à tout hasard, pour savoir. Il est difficile de donner sa valeur à un objet mais ce n’est pas la charge émotionnelle qui vous rendra moins à même d’en juger. Vous pouvez avoir le réflexe LeBonCoin et Google pour avoir un ordre de grandeur de prix.
C’est aussi le moment de réfléchir à la place que l’objet va prendre dans votre intérieur. Où le mettre ? Si la réponse vient facilement, poursuivez l’interrogatoire, en avez-vous besoin ? Cette question n’est pas facile, il ne s’agit pas uniquement d’un besoin utilitariste. Être ému.e par un objet compte tout autant que la fonction qu’il va remplir. Est-ce uniquement sa couleur, le contexte du stand ou véritablement la pièce elle-même avec tout ce qu’elle a de singulier qui vous émeut ?
Partir avec ou la laisser là, la bonne décision est celle qui vous aligne.
Vous pouvez vous projeter mentalement dans les deux scénari.
A pile ou face, si vous ne pouviez rien contrôler, quel scénario vous rendrait le plus heureux.se ?
La brocante nourrit un attachement profond aux objets, un amour pour leurs détails qui les rendent irremplaçables, qui nous engagent à les réparer, à les entretenir.
Il existe des tendances en brocante, des articles qui ont la cote et qui se déclinent en mille versions au fil des stands. En voir l’étalage donne l’impression d’être trompé.e, d’être extrait.e de cette relation profonde à l’objet, combien de dames jeanne, de miroirs soleils ou de paniers en osier ? Standardiser la brocante est une idée bien antinomique.
Restez alerte, c’est l’occasion de faire le tri entre ce que vous voyez désormais partout et ce qui vous apporte profondément de la joie.
fomo
Comment un objet, dont nous ne connaissions pas l’existence il y a quelques instants, peut-il autant nous manquer ?
Cette peur de manquer ou fear of missing out est un petit démon qui peut vous frustrer dans votre parcours en brocante. Gardez la tête froide, l’invitation à chiner est un rendez-vous avec votre goût et si l’objet est vendu à quelqu’un d’autre, sa photo ou son image mentale restera un pas vers la découverte de votre goût. Vous connaissez désormais la magie de trouver la bonne pièce, la graine est plantée, le prochain frisson n’est pas loin.
Évidemment, cette année, c’est compliqué…
Cette année, les brocantes sont annulées une à une, crise sanitaire oblige. Impossible dans ce contexte de distanciation et de désinfection frénétique d’envisager la chaleureuse et poussiéreuse brocante...
En attendant, il nous reste la brocante sur Internet, la fouille digitale, chacun chez soi.